De Chine, sans amour 2/3

Publié le par Quentin Moreau

La deuxième partie des aventures chinoises du pékin moyen que je suis. Cela se passe toujours en août au bord de la frontière mongole. Juste de l'autre côté.  Réjouissez-vous.

La suite, fin et conclusion au prochain numéro.
Quentin

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Ereen. Chine. Mongolie Intérieure. Ville frontière.

L’un dans l’autre, cette ville est aimable par le fait même qu’elle ne cache rien, qu’elle n’a pas d’autre histoire que sa contemporanéité. Cette ville est transparente, questionnable, dynamique, vivante, a-touristique : tout est argent. Point.

Les Mongols sont là.
Les Chinois sont là.
Je suis là.
J’aurai passé 15 jours entiers ici. Non point par choix. A cause d’un consulat mongol in situ, et d’un visa qui a mis du temps. J’ai vécu des choses ici qui ont retenu l’attention de mon esprit. Mais d’autres choses ont parlé à mon cœur, simplement.

Si j’excepte les bières et leurs prétextes, j’ai vécu beaucoup dans ma chambre d’hôtel. Et je me suis payé la chance d’avoir internet. La première chose qui saute aux yeux est que, si la connexion est excellente, des myriades de sites sont tout bonnement indisponibles (l’on en vient d’abord à vérifier les paramètres de son browser – juste pour s’assurer qu’aucun filtre n’a été activé maladroitement…). Je cite au hasard ce merveilleux Facebook (qui permet à tout bon travailleur de bureau de passer son temps intelligemment), la totalité des blogs de la planète, une bonne série de sites d’information, etc., etc. J’evite bien entendu de parler de la censure autour de  tout contenu relatif au Tibet, au Xinjiang ou à toute autre manifestation-de-velléité d’indépendance ou de dissidence. C’est cette chose précise qui m’a donné l’idée de ce petit texte super-pamphlétatoire : internet, la façon dont je m’y exprime et puis aussi les choses extraordinaires que j’ai vues à la télévision... Parlons-en donc, de cette télévision.

En Chine, toutes les chaînes sont publiques, ce qui signifie qu’aucune n’a de réelle liberté d’opinion. Elles sont toutes très modernes : des BBC, des CNN, des HBO, des Discovery Channel ou des EuroSports avec la langue de Lao Tseu en sus. Il y en a même quelques-unes qui ressemblent à du France 3 Région ou du Télé-Bruxelles.

Je reviens sur ma comparaison avec l’Oncle Sam, désolé… La majorité de ces chaînes débite de la série et du film bas de gamme à longueur de journée et de nuit, sans jamais oublier la publicité (6 minutes toutes les 10 minutes d’émission). Mais la langue et l’esthétique kitscho-bigarrée en font un must… cinq minutes durant. Parce qu’après, l’indigestion guette. Et juste après, le fameux panem et circenses s’impose. Ne vous sentez-vous pas en Europe ?

Vu que je parle mieux la langue de Shakespeare que celle du cru, je me suis tout naturellement dirigé vers CCTV 9, la seule chaîne en langue anglaise qui débite de l’information et un peu de culture en boucle. J’ai bien aimé le fait de recevoir les nouvelles du monde dans mon trou perdu, je me suis intéressé à l’information orientée sur l’Asie, chose si peu courante dans notre cher Occident. Puis après…

J’ai versé une larme à voir les « carnets de voyage » d’un Han en province. L’idée est de prendre comme sujet une région frontière, une marge de l’Empire (Mongolie, Mandchourie, Tibet et Xinjiang préférablement), de s’y faire promener un(e) aventurier(e), de montrer les sites pittoresques, les musts,  de le faire interagir avec des locaux (en langue chinoise toujours parce que ces gens-là sont assimilés) et d’exalter les coutumes de l’indigène, ses danses et chansons, ses particularismes régionaux, sa bouffe délicieuse, etc. J’ai donc versé ma larme, dégoûté de tout cet ethnocentrisme, de toute cette (ré)pression faite sur ces cultures sous couvert de « tourisme » ou d’incitation au « tourisme ». Puis je me suis retourné sur ma petite gueule de Candide et me suis dit que nous ne faisions rien d’autre, nous ‘civilisés’, en allant découvrir le vrai nomadisme en Mongolie, l’authentique amérindien aux USA ou le très pauvre bantou en Afrique. Mais si Tintin au Congo était une posture acceptée et acceptable il y a 70-100 ans, nous aurions dû repenser ce modèle depuis quelques décennies; certain l’on fait mais ils sont rares. Hypocrites, dites-vous ? Et la bande dessinée tant décriée est et reste le modèle non seulement du gouvernement pékinois mais aussi de toute la clique des touristes dits ‘d’aventure’ et d'authentique. Peut-être dans nos pays une logique d’Etat a été remplacée par une logique privée d’entreprises. Toujours est-il que nous en sommes au même point !

Si j’ai pleuré à regarder passivement ces journaux de voyage, j’ai vomi en regardant d’autres émissions. Littéralement.

Connaissez-vous le Xinjiang (dont je vous parle depuis le début de cette longue bafouille) ? Le Xinjiang, c’est le Far West, (‘nouvelle frontière’ en chinois), une immense région principalement désertique annexée par la Chine dans les années 50 à la suite d’une guerrilla-guerre civile qui a duré des dizaines d’années et dans laquelle se sont impliqués anglais et russes (le fameux « Great Game »). Les Ouighours, natifs de la région, parlent une langue turcique mais l’écrive en alphabet arabe, à l’inverse de tous leurs voisins. Ils sont musulmans (oui, oui, en Chine !!!). Allez jeter un coup d’œil sur Wikipedia si vous voulez en savoir davantage. Bref, le Xinjiang, c’est le Tibet oublié : annexion, répression, massacres, génocide culturel… Pour des raisons diverses (de détresse spirituelles peut-être ?), nous avons de la sympathie pour le bouddhisme tibétain et pour le Dalaï Lama; nous n’en avons aucune pour un peuple musulman perdu au milieu d’un désert, c’est pour cela donc que vous n’avez jamais entendu parler de cette région. Et qu’aucun média ne s’y intéresse. Sauf peut-être depuis ces événements d’août : une rébellion, une émeute. Mai 68 à Urumchi. A part la météo des plages, il n’y avait pas d’autre sujet intéressant : les JT ont donc couvert ces manifestations de masse. Non je n’étais pas témoin direct, juste un spectateur privilégié : un gringo dans la patrie des méchants, là où cela se passe. Même si l’on peut m’enlever le droit d’ouvrir ma gueule, on est obligé de me laisser mon esprit critique, celui-la même que j’exerçais en ce temps devant la télévision chinoise.

Continuons la leçon de choses. Connaissez-vous Rhebia Khadeer ? Non ? Elle est le chef de file du mouvement de résistance ouighour. Elle est le Dalaï Lama du coin. Elle est exilée et de ce fait a le droit d’ouvrir sa bouche. Interdite de territoire, elle est haïe de ses ‘compatriotes’ chinois… Mais elle a été nominée pour un Prix Nobel de la Paix : certaines gens la connaissent et elle fait un boulot certain pour la cause.

J’ai assisté à une émission de télévision où l’on avait convoqué ses enfants et parents – ceux qui sont restés au pays – et on les interviewait, comme dans un bon documentaire. Sauf… Sauf qu’on leur demandait de renier cette dame qui leur était chère. Sauf qu’ils ont dit (dû dire ?) : « ma mère n’est plus ma mère à cause de ce qu’elle a fait contre l’unité nationale » (cité dans le texte, j’ai pris des notes). Sauf qu’ils ont dû se repentir pour leur mère, qu’ils ont dû dire qu’ils voulaient leur mère de retour au pays pour qu’elle se fasse juger et condamner (sic). Ils avaient l’air las.

A Urumchi en août, il y a eu des émeutes, celles du ras-le-bol et de l’espoir. Il y a eu des morts, beaucoup. C’est passé inaperçu, mais récemment il y a eu des condamnés : à mort. J’ai entendu parler de sept hommes sentenciés à mort et un autre, gracié d'exécution mais condamné à la perpétuité incompressible parce qu’il avait dénoncé un collègue et qu’il s’était repenti. Pensez aux films sur l’Inquisition… Cette fois-ci et dans ce coin, dieu est chinois et le diable est musulman. Tiens, musulman, diable, l’association d’idée ne nous parle-t-elle pas ?

J’ai vomi.
Alors j’ai quitté l’enfer de ma chambre et je suis sorti dans la rue. J’aurais bien aimé crier mais personne n’aurait compris. Je me suis promis d’écrire. Je me suis assis à une des nombreuses terrasses où, le soir venu, des gens font griller des brochettes et vendent des bières.

Les gens. Eux, on ne peut leur cracher dessus. Ils sont bons, simples, admirables comme les fourmis qui travaillent à leur fourmilière, plein d’abnégation et plein de gentillesse. Des hommes, non point des machines.

Je repense à ce petit plaisir du soir, quotidien et salvateur : aller manger ces brochettes prolétaires toujours dans la même échoppe, celle de l’habitude : chez mes amis mongols intérieurs.

Quelques mots et l’aide du dictionnaire d’un téléphone portable suffisent au principal : communiquer. De la nourriture comme pour une cène, un peu d’alcool parce que c’est bon et des gens qui viennent s’asseoir et discuter pour satisfaire l’appétit spirituel. J’ai eu droit à une famille chinoise, les parents étaient timides, mais le fils de 4 ans m’a offert sa petite peluche préférée. J’ai côtoyé ces marchands mongols racistes face aux chinois, mais qui venaient faire leurs emplettes. J’ai eu droit à quelques putes amatrices qui ont tenté de m’emmener dans leurs paradis à sous. J’ai eu droit à des dizaines d’autres personnes et je n’ai pas envie de vous en parler tant c’est précieux. J’ai mangé, bu et j’ai eu droit à cet état de grâce supranational, inhumain, surhumain.

Pour tout cela et pour ce que je tais par pudeur, j’ai aimé la Chine et mon voyage involontaire dans ce pays. Leçon no. 1 : ne jamais confondre les hommes et leur système. Leçon no. 2 : ne jamais oublier d'ouvrir sa gueule, c'est toujours ça de pris

Publié dans Chine

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