Octobre 2007 - La fin d'un monde, le début d'un autre voyage

Publié le par Quentin Moreau

Chers tous,

Un mois et demi que vous n'avez pas eu de nouvelles. C'etait encore le debut du Tibet. C'est le Nepal maintenant. Des mondes de differences. Un voyage qui mue. Des voyageurs qui changent aussi.

Le 27 septembre, c'etait la Fete de la Communaute Francaise de Belgique. Ce qui me rappelle ma honte d'etre belge et de ne toujours pas avoir de gouvernement je ne sais combien de mois apres les elections. Je ne compte plus. Vu de loin, ca parait minablissime...
(C'etait la parenthese politique, j'arrete tout de suite, cela n'interesse personne).

Le 27 septembre, c'etait aussi le jour ou nous sommes devenus officiellement des "aliens" voyageant au Tibet. Parcequ'il faut payer un permis chinois pour l'etranger, pour circuler... Seuls la Chine et les USA traitent officiellement les etrangers d'aliens... Ca fait un effet bizarre mais on s'habitue. Surtout qu'il n'y a pas de controle sur la route, faisant considerer ce permis comme une grosse blague et un racket organise de quelques dizaines d'euros. Mais l'etau chinois peut se resserrer a tout moment.

Peu apres, ce fut la route une fois de plus. Du macadam cette fois, bien lisse et roulant, sur 250km, mais un vent de face des jours durant. {Mon education chretienne revient peut-etre en force avec cette foutue notion de culpabilite ... ?!), c'est comme s'il avait fallu payer son entree dans ce que le Tibet et le Bouddhisme ont de plus sacres.

Visite de Tirthapuri gompa (monastere), deux jours de vie a Dunchu gompa, kora (pelerinage) autour du Mont Kailash, lac Manasarovar. Ville de Moincer, ville de Darchen. Sept jours sans velo, sept jour a s'impregner de ce qui est une sagesse, un rite, un modus vivendi, une societe toute entiere. Sept jours a l'ombre de la montagne sacree. Trop peu bien sur.

Qu'en reste-t-il ?
Des images plein la tete. De drapeaux de priere, de simples heres se prosternant des semaines, des mois ou des annees durant pour accomplir un pelerinage. Des images de la montagne, des nomades, des plaines et des villages. De tres tres hautes montagnes. Un 7500m comme le Gurla Mandata, bien qu'observe de loin, est une masse indescriptible fichee dans le paysage. Il faut aller voir pour comprendre en quoi l'Himalaya n'a pas de mesure.

Un ami en la personne de Dunchu Rinpoche, le lama de Dunchu Gompa. Il fut notre hote. Je lui dois des photographies extraordinaires, je lui dois le calme de deux nuits dans une cellule de moine. Je lui dois la recitation des heures durant de mantras a la lueur des lampes a beurre.

La rencontre d'un petit garcon extraordinaire, curieux, intelligent, vif, doux, attentif. La rencontre de la reincarnation du lama. Ca peut paraitre si etrange pour un occidental bien cartesien. Mais une fois le garcon rencontre, un quelque chose brille si fort, est si evident,  qu'il ne faut pas etre bouddhiste pour comprendre qu'il se passe quelque chose de tres singulier en lui.

La kora autour du Mont Kailash effectue en deux jours. 52km et un col a 5660m, des -20 au lever du jour, qui nous ont vu depasser guides et porteurs tibetains. Le tout accompli dans une paire de baskets. Comme quoi le velo est bon pour le coeur, meme pour les fumeurs ;-)))
Effectuer le tour d'une montagne sans presque la quitter des yeux est singulier. Ce qui l'est encore plus, c'est la ferveur qui l'entoure et qui comme plane dans les vallees. Le Kailash est un reve d'alpiniste aussi ! bien qu'interdit a toute expedition.

Une reelle fascination pour un peuple et l'envie de revenir. Faire de la montagne, apprendre la langue, restaurer un monastere, que sais-je ?

Mais ce Mont Kailash qui paraissait si inaccessible dans un atlas a Bruxelles, ce Mont Kailash fiche dans un Tibet encore interdit sous beaucoup d'aspects, ce Mont Kailash est un terme. Je l'ai ressenti directement et n'arrive pas a me detacher de cette perception.

A partir de ce mercredi 10 octobre, mon 166eme jour de voyage, je sais que je suis lentement en train de rentrer chez moi. Il reste du temps et des kilometres mais l'esprit est aux projets, a l'apres, au retour, a la maison. C'est proteiforme et extremement enrichissant. Ca ouvre beaucoup de possibles et claque surtout la porte au mode de vie traditionnel europeen...

Apres Darchen et le Kailash, il restait encore un millier de kilometres a couvrir. Ca devait etre facile dans nos esprits. c'etaient les derniers. L'arrivee etait proche vers des contrees plus luxuriantes. Ce fut un calvaire. La route etait mauvaise, certes, mais pas pire qu'auparavant. C'est le mental qui devait s'etre erode en meme temps que nos corps s'usaient progressivement. Nous avons souffert de faim. Nous avons stigmatise la faim comme notre pire ennemi. Pas qu'il etait impossible de trouver a manger, non. Il fallait acheter dans les villages de quoi manger pour 4-5-6 jours mais on pouvait trouver. Nous etions degoutes de la nourriture. La tsampa, le the au beurre rance de yak et le beurre de yak sont bons, meme tres bons. Le petit dejeuner etait trouve. Les pates ont du mal a cuire a haute altitude sans cocotte minute mais nous nous en accomodions. Parfois nous trouvions des patates que nous faisions cuire puis risoler dans du beurre rance : excellent. Ca c'est pour le diner. Mais les saloperies chinoises industrielles sont infectes. Rien n'a de gout. Tout au plus, cela imite mal le gout industriel des produits europeens. Rien pour la journee, pour le velo, du matin au soir. Les biscuits qui etaient mangeables au debut sont devenus totalement inappetissant plus tard. Meme les rares Snickers qui etaient encore aux fonds de nos sacs n'avaient plus ce bon gout... Du coup, sur les 6000Kcal que nous aurions du ingurgiter, nous devions en manger seulement 2000. Chutes de tensions frequentes et moral en baisse en consequence.

Alors, la route est devenue vraiment tres mauvaise. Il y avait de la tole ondulee, des gros cailloux, de petits gravillons et du sable. Il fallait choisir le moindre mal et il n'y en avait pas. Ca secouait, la roue arriere patinait a la moindre tentative de pedalage. Il fallait pousser. Et pousser, ce n'est pas un miserable 6km/h, c'est moins de 2km/h... Christine a pete un plomb un jour, j'ai pete une durite le lendemain. Le seul salut, c'est le Nepal. Et je ne voulais plus endurer cela pour ne pas me voir avancer... Le tout avec notre visa qui arrivait doucement a echeance. J'ai leve honteusement, resigne, le pouce. Un camion s'est arrete et nous a charge sur 60km.

C'etait un camion intendance pour un riche couple de touristes. Il y avait une jeep, dans la jeep deux touristes, un chauffeur et un guide. Un camion, dans le camion, un chauffeur, trois cooks. Une debauche de moyens... Une absurdite de moyens. Pendant que le couple vegetait, se plaignant de tout au chaud dans la guesthouse, nous faisions a manger dans le camion avec les nepalais. Ils ont ete d'une gentillesse incroyable : cafe, salade, pates, kroepoeks, the au lait, etc. Nous avons mange a notre fait des choses qui avaient du gout ! Enfin. Les clients quant a eux n'ont pas touche a leur assiette. Beurk !

Il faut savoir que 8 jours au Tibet dans une jeep avec chauffeur et un trekking de 4 jours coute dans les 1700-2000 euros. Nous ne depenserions pas ca en 6 mois de voyage... La disproportion est trop frappante, trop honteuse. Et les gens trouvent le paysage tibetain beaucoup trop monotone et desertique...

Il reste que nous avions trouve la solution : coller au plus pres aux cuisiniers nepalais !!!!

Nous avons repris la route le ventre plein le lendemain. Plein d'entrain. Nous avons avance, avant d'errer une fois de plus lentement et demoralises et fatigues.

Une nuit, il a neige. La seule precipitation que nous ayons connue depuis deux mois. Le paysage etait ecossais le matin : de la lande blanchie et un white out persistant. Tres tres froid. Nous avons pris la route, obliges de nous arreter souvent pour rechauffer nos pieds. Puis tout a fondu en l'espace d'une heure, la brume s'est degagee, laissant entrevoir les highlands enneiges et le soleil s'est remis a chauffe.

Mais sans courage.

Nous avons completer en trop de jours les kilometres qui nous restaient jusqu'a Paryang. La nous avons mange sans doute trois repas chaud en un apres-midi. Nous avons trouve un camion nepalais de riches touristes. Et avons pris nos places pour le lendemain. Une fois de plus nous avons ete gracieusement nourris. J'avoue avoir un peu honte d'avoir fait encore 200km dans un camion... Mais quoi ? Cela ne pouvait pas se concevoir autrement a ce moment la. La seule justification est qu'il n'y en a pas. Et tant pis pour le purisme.

Il y a encore eu des dunes de sables gigantesques et enneigees, la vue majestueuse du Daulaghiri, un 8000m a 150km loin au Sud au Nepal. Il y a eu Saga.

Apres ce furent la traversee du Brahmapoutre encore faible. Une tres mauvaise route. La vue du Shishapangma, un autre 8000m. Le plus petit de tous et immense.

Puis enfin la Friendship Highway, la route qui relile Lhasa a Kathmandu. Avec son lot d'enfants et de grands meres qui mendient agressivement avant meme de lancer un bonjour. Pourquoi toutes les routes qui voient passer une "masse" de touristes, voient elles leurs habitants changer et devenir mauvais, menacants et arnaqueurs. Comme je voudrais que cela n'existe pas.

Deux jours plus tard, c'etait la descente sur le Nepal. En l'espace de 48h, nous sommes passes du col desertique a 5000m a la jungle humide, perchee a un bon 735m. Quelle difference ? De personne a des masses d'enfants et de gens.
Du desert a la foret tropicale. De -15 degres a +30 degres. De la rudesse des douaniers chinois (pour ne pas parler d'impolitesse) a la chaleur de leurs homologues nepalais.
Etc.

Deux jours de plus et nous arrivons a Kathmandu. Des embouteillages, du monde partout. Thamel, le quartier touristique ou tout se trouve nous agresse de plein fouet.
C'est ici comme en Europe, il n'y a presque que des touristes. Et les touristes venues au Nepal pour 3 petites semaines doivent rager de ne pas trouver assez d'exotisme.

Il nous aura fallu 12 jours dans la capitale pour reprendre pied, nous habituer, preparer notre mois prochain, nous renplumer, etc.

Nous sommes maintenant a Pokhara, seconde ville du pays et base de trek. Nous nous sommes concoctes un circuit "alternatif" qui evite les endroits touristiques. Nous partons marcher un mois ou un peu plus autour de deux 8000m.

Plus de velo mais un gros sac sur le dos et des grosses au pied !

Il est tard ici et nous partons demain a l'aube. Je bacle donc un peu la fin de ce recit.

Mais allez voir les photos sur : http://picasaweb.google.com/quentin.moreau/AliKathmanduTibetNepal
 
Nous reviendrons a temps pour vous souhaiter un Joyeux Noel.

En vous embrassant tous,
Q.

Publié dans vélo

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